En France, 11 millions de personnes prennent quotidiennement soin d’un de leur proche fragilisé. Depuis 10 ans, le 6 octobre est l’occasion de reconnaître ces anonymes qui par leur implication et leur engagement sont les moteurs d’une société plus solidaire et plus humaine. Ces valeurs se sont également celles de La Vie Active, qui a cette année décidé de mettre en valeur madame Facq, mère et aidante de François, accueilli au SAJ de Brebières, et monsieur et madame Cuvillier, parents et aidants de Mathilde, accueillie au SAJ de Loison. Conscients des difficultés qu’ils peuvent rencontrer, nous avons souhaité leur donner la parole afin d’évoquer avec eux leur rôle, leur quotidien, leur attentes en matière d’accompagnement de leur proche, ou encore leurs inquiétudes concernant l’avenir.
Interview d’Hélène Facq, mère de François, accompagné par le SAJ de Brebières
Bonjour madame, pour commencer pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Hélène Facq, j’ai 70 ans. Mon fils François a 34 ans et est accompagné au SAJ de Brebières depuis 2007. On ne sait pas exactement quelle est la pathologie de François. Il souffre de TOC, et surtout de « lenteurs ». Il n’aurait pas pu aller en ESAT car il n’est pas dans la performance ou dans l’anticipation.
Quel a été le parcours de François avant son arrivée au SAJ ?
François est allé à l’école dans le milieu ordinaire jusqu’en 5ème. Il sait donc lire, écrire, et compter, c’est un gros avantage ! Ensuite il a été placé en IME avant d’arriver au SAJ. Pour le placement en IME, il faut tout de même se battre. Globalement, il a tout de même assez facilement été accepté, mais il faut savoir où aller, comment faire… C’est un peu le parcours du combattant pour les parents.
En tout cas, François se sent beaucoup mieux au SAJ qu’en IME, il est beaucoup plus à l’aise, épanoui.
Comment vivez-vous votre rôle d’aidant au quotidien ?
A la maison nous avons des repères bien définis. Je vais vous raconter une journée typique : François se lève à 7h30 pour partir à 8h30. Il a besoin de temps, ce que je lui laisse. Il se lave, il s’habille… Pour son petit-déjeuner, tout est prêt, il l’a fait la veille. Par contre c’est moi qui le coiffe, c’est ce qu’il souhaite. Ensuite il part pour la journée, en me demandant si je serai là le soir. Ca, ça dépend de mon programme. En tout cas il est indépendant, c’est une chance pour moi. Le soir, il me raconte sa journée. Je sais tout ! On dialogue beaucoup. Il me raconte toujours ce qu’il a mangé par exemple, le repas c’est très important pour lui, c’est un vrai plaisir. Ensuite, c’est son moment à lui, il regarde la télé dans sa chambre.
Je suis veuve depuis 2011, et on pourrait dire que François prend un peu la place de son père. Si avant c’était moi l’aidante, aujourd’hui il m’aide également beaucoup, c’est vraiment un allié. La situation s’est retournée positivement. Dans les tâches quotidiennes par exemple, il met la table, la débarrasse… Ca a bonifié notre relation, mais également plus généralement sa façon de se prendre en charge, son autonomie.
Actuellement la situation n’est donc pas trop compliquée pour moi, en tout cas elle s’est beaucoup améliorée. François a vraiment trouvé sa place, et il est très concerné par mon bien-être. Nous avons une relation très fusionnelle.
Bien évidemment, il y a des choses qu’il ne parvient pas à faire tout seul, et que je prends donc en charge. La gestion administrative par exemple. C’est l’une des choses les plus fatigantes. Sans cesse chercher, se renseigner, renouveler les dossiers… Et puis, encore faut-il être en mesure de le faire ! En réalité c’est vraiment angoissant.
Selon vous, qu’est-ce qui pourrait aider les aidants de personnes en situation de handicap ?
Je participe à un groupe de parole mensuel, avec à chaque fois un thème. Par exemple la souffrance de l’aidant, et la communication avec la personne aidée. C’est important de dialoguer, d’être dans le partage. Toutes les situations sont particulières, pour autant c’est toujours enrichissant de parler de son expérience. Je trouve qu’on devrait en faire plus à ce niveau-là. S’exprimer c’est important, mais même au-delà de ça : avoir des informations, sur les lois par exemple, des conseils, un soutien… Je pense que ça allégerait la difficulté d’être parent d’une personne en situation de handicap.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Je pense que François ira en foyer. Tout doucement je l’y prépare, mais il est très hermétique à l’idée. Il est hors de question pour l’instant de parler d’un placement en foyer. J’ai beau lui expliquer que je ne suis pas éternelle, François ne réalise pas vraiment. La question de l’avenir me pose problème. En ce moment, j’essaye de m’organiser pour participer à des portes ouvertes dans un foyer, pour visiter avec lui. Il faut trouver la bonne structure !
Un conseil pour d’autres personnes aidantes ?
Vis-à-vis de nos enfants, je pense que le plus important c’est de leur offrir une ouverture au monde. Il faut leur proposer des perspectives ! Sortir, participer à des activités… C’est toujours bon pour l’autonomie. Donner des petits défis, essayer d’avancer ensemble, ça permet de faire des progrès !
Par exemple, François est un grand sportif, c’est un nageur, un cavalier… C’est important, ça lui permet de participer à la vie « normale ». C’est un vrai besoin ! Moi je ne parlerais pas d’intégration, d’inclusion… Juste une vie normale, une vie avec les autres.
Interview de Daniel et Nicole Cuvillier, parents de Mathilde, accueillie au SAJ de Loison-sous-Lens
Pouvez-vous vous présenter ?
Nous sommes Daniel et Nicole Cuvillier, les parents de Mathilde. Nous nous occupons de Mathilde depuis sa naissance. Aujourd’hui elle a 28 ans, et vit toujours avec nous. Elle souffre de troubles psychomoteurs. Au niveau physique comme au niveau intellectuel on voit que c’est une personne handicapée, on le sait.
Quel a été le parcours de Mathilde avant qu’elle arrive au SAJ ?
Elle a commencé par une maternelle classique, en milieu ordinaire. Elle y a été bien accueillie, elle était très entourée. A partir de ses 6 ans elle a rejoint un IME à Liévin où elle restée deux ans. Ensuite de 8 ans à 20 ans elle était à Malecot* (un établissement APEI), avec une période de deux ans où elle est restée à la maison.
On a toujours été bien conseillés pour trouver des établissements, donc ça ne nous a jamais semblé très compliqué. Elle est tout de même restée deux ans à attendre une place en institution, mais ça a fini par s’arranger.
Quel impact a le rôle d’aidant sur votre quotidien ?
Aujourd’hui nous sommes retraités, donc on se débrouille. C’est sûr qu’on ne peut plus faire tout ce qu’on faisait avant. Il faut qu’on soit présents, disponibles, on ne peut pas s’éloigner ni oublier les horaires. Nous sommes un peu coincés vis-à-vis de certaines choses qu’on aimerait faire. On essaye de faire le maximum d’activités avec elle, mais évidemment il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte, à calculer.
Il y a beaucoup de choses pour lesquelles il faut l’aider. La toilette par exemple. C’est du boulot ! Même des petites choses comme couper sa viande, elle ne s’en sort pas… Bien sûr ça induit une fatigue particulière.
On arrive tout de même à relativiser ! Nous avons une enfant handicapée mais ça n’est pas une raison pour se plaindre. On est en France, dans certains pays c’est nettement plus compliqué. Il faut se battre pour améliorer les choses, toujours, mais pas se plaindre.
En plus, on ne peut pas dire que Mathilde soit très embêtante à la maison. Le souci c’est pour elle en fait ! Il faut qu’elle voie autre chose, du monde, qu’elle s’ouvre à l’extérieur, qu’elle ait des amis.
Comment Mathilde se sent elle au SAJ ? L’accompagnement l’a fait-elle progresser ?
Elle s’y plait beaucoup. On voit bien qu’elle est contente, même si des fois elle râle un peu pour rester à la maison. Ici ils la motivent, la stimulent ! On sent qu’elle est épanouie en tout cas… Après progresser ça a ses limites… On sait depuis qu’elle est enfant qu’elle ne progressera pas énormément. Mais on sent une vraie différence dans ses discussions, dans la manière dont elle ressent les choses… On sent aussi qu’aujourd’hui, malgré ses difficultés, elle veut qu’on la considère comme une adulte.
Ce qui est bien, c’est qu’ils font plein d’activités, ils sortent énormément de l’établissement : ils vont au marché, à la médiathèque… Ca c’est très positif. Si c’est pour être assis devant la télé autant rester à la maison !
Selon vous, qu’est-ce qui pourrait aider les aidants de personnes en situation de handicap ?
Tous les 2 ou 3 mois il y a une réunion au SAJ durant laquelle on discute de l’actualité du secteur du handicap, des nouvelles lois… On peut poser des questions. C’est très intéressant pour nous, quand on sait le temps qu’on passe à remplir des papiers ! On apprend vraiment des choses. En plus on peut discuter avec les autres parents.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Quand on pense à la situation froidement, on sait qu’on ne peut pas forcément compter sur ses frères et sœurs. Ils ont leur vie, c’est normal. Au moins, en réfléchissant comme ça on ne risque pas d’être déçus, on n’a pas de reproche à faire. Du coup, Mathilde sera certainement placée en foyer de vie, et nos enfants iront lui rendre visite.
Aujourd’hui, elle n’accepte pas vraiment l’idée. Elle sait qu’on vieillit, on lui a déjà dit. Elle sait aussi qu’elle finira bien par aller au foyer, mais quand ? Ca elle ne veut pas en parler. Pourtant c’est inévitable. Pour nous le principal c’est qu’elle soit bien, que les gens soient gentils avec elles.
En tout cas c’est sûr que la question de l’avenir est très importante. Les enfants c’est fait pour quitter le foyer à un moment, et ensuite on ne s’inquiète plus pour eux. Dans cette situation c’est différent. Cette problématique, on la retrouve chez beaucoup de parents d’enfants handicapés.
Un conseil pour d’autres aidants ?
Toutes les situations sont tellement particulières… C’est vraiment compliqué, on ne peut pas se mettre à la place des gens. Le rôle des parents c’est de donner le plus d’amour possible à leurs enfants, de les accompagner le plus loin possible, de rester terre à terre, et de respecter tous les gens qui peuvent vous apporter de l’aide et en apporter à vos enfants.